Un documentaire concernant la musicothérapie :
BASES ET DÉFINITIONS DE LA MUSICOTHERAPIE
"La
musicothérapie est une méthode psychothérapeutique qui étudie le
complexe son-être humain en vue d’effets thérapeutiques (que le son
soit ou non musical) et d’une amélioration de la qualité de vie. Elle
est une manière efficace d’aborder la connaissance de soi, de son
corps, et de son rapport à l’autre et à l’environnement.
Le
musicothérapeute, lui, est là principalement pour être attentif à ce
qui est en train de se vivre, et permettre au sujet de renforcer sa
propre attention, son propre regard intérieur.
Pour
saisir ce qu’est la musicothérapie, il me semblait nécessaire de
clarifier les deux termes qui composent ce mot : musique et thérapie.
En
effet, la musicothérapie est vite considérée comme une thérapie qui
aide la personne par la musique ou comme une forme d’animation
musicale.
La musique
J’ai
choisi d’aborder le thème de la musique par cinq concepts théoriques
qui me permettent d’inclure certaines notions musicales et
psychologiques. Cette définition reste succincte et non exhaustive. Elle
est un aperçu de l’ampleur et de la richesse de ce domaine qui est en
étroite relation avec d’autres domaines (mathématique, philosophique,
médecine, psychologie, psychomotricité...).
1) L’espace sonore
Le
son produit par les vibrations d’un objet dans l’air possède des
propriétés physiques mesurables: fréquences (hertz), intensité
(décibels), spectre (analyse d’un son complexe), auxquelles
correspondent des perceptions d’ordre psychologique: hauteur
(grave/aigu), intensité (faible, intense), timbre (agréable,
désagréable).
Le
but de la conscience musicale n’est plus d’identifier le son et de
définir sa provenance mais d’analyser sa composition: sa hauteur, son
intensité, son timbre. Nous passons d’un espace réel à un espace
musical, d’un espace objectif à un espace subjectif.
Pour
la conscience auditive, nous pouvons parler d’espace objectif dans le
sens où la perception du son (phénomène vibratoire) se fait de
manière mécanique et physiologique dans l’oreille interne(1),
alors que l’analyse du son perçu –conscience musicale– se définit par
comparaison aux connaissances préalables du sujet. Un son identique
perçu par deux personnes rend deux images musicales différentes.
L’approche phénoménologique se différencie de l’approche physique de
la musique qui tend à objectiver le phénomène sonore. La
phénoménologie démontre que les données objectives du son sont
automatiquement soumises à interprétation par la conscience humaine(2).
A ajouter que le son est étroitement lié à l’histoire de l’individu.
Le docteur Rolando Benenzon a mis en évidence ce lien en créant le
concept de l’identité sonore (ISO).
Cette
identité est composée de plusieurs facteurs: de la vie intra-utérine
et des bruits perçus par le bébé (rythme cardiaque de la mère, bruits
intestinaux…), par le contexte familial et environnemental de l’enfant
qui se développe (musique propre à la race, au pays, à la langue,…)
et tous les phénomènes sonores qui constituent notre quotidien sans
que nous ne nous rendions forcément compte.(3) Le son a donc une importance capitale dans l’histoire de l’individu et de son évolution.
2) L’espace temporel
Loin
de la fixité temporelle, la musique n’existe que dans le présent, le
temps de la propagation du son dans l’espace et le système auditif
d’un auditeur. La musique a pour terrain d’évolution le temps
lui-même, tout comme la vie de l’homme. Elle est limitée par un
commencement et une fin. Entre les deux, des bornes existent au
travers du rythme. Je frappe dans mes mains. Il existe alors un avant
et un après, un passé et un futur. Si je frappe une seconde fois, le
rythme existe maintenant, avec une durée de valeur (c’est-à-dire
«limitée»). Le rythme en tant qu’élément structurant permet alors à la
musique de jouer avec le temps. La musique acquiert son temps propre.
Les deux rythmes de base –binaires et ternaires– étant issus des
fréquences respiratoire et cardiaque, il est facile de comprendre que
la perception d’un rythme pousse de manière quasi automatique le corps
à bouger. Travailler le rythme avec des enfants semble naturel, alors
que l’adulte peine beaucoup à ressentir le rythme. L’approche des
adultes est souvent trop intellectuelle et devient un réel handicap
dans ce cas précis.
«Le
rythme montre le rapport existant entre l’espace et le temps par
l’intermédiaire du mouvement… il fait également appel au temps par la
durée.»(4)
Le
mélange entre durée et son, espace temporel et espace sonore crée
l’espace musical. L’espace temporel inscrit la suite des sons d’une
ligne mélodique dans un rapport horizontal – «passé», «présent»,
«futur».
L’espace
sonore définit le rapport vertical comprenant la hauteur et la
profondeur du son. Un son pris dans une ligne mélodique peut être
considéré soit dans le temps «présent» –il représente alors un chemin
tonal perçu– soit en référence aux sons émis précédemment ou
successivement. Dans ce cas, il est le chemin d’existence de
l’auditeur. La conscience musicale considère une ligne musicale de
deux manières différentes: soit comme l’image statique d’une
succession de notes prises séparément, soit comme un mouvement compris
entre une note de départ et une note d’arrivée représentant une phrase
musicale.
Dans
le premier cas, la musique est l’expression d’émotions successives
empreintes de manière unique dans chaque note. Elle est une porte
d’entrée sur ce qui se passe au plus profond de la personne.
Dans
le second cas, elle est l’expression d’un ensemble d’émotions qui,
prises globalement, se font le reflet de sa propre existence. La
musique est alors un langage qui permet à l’individu de communiquer
avec lui-même, elle est un moyen qui permet à l’être humain de se
mettre à nu, de se laisser interpeller par tout le côté émotionnel de
sa personne.
La
musicothérapie offre un cadre sécurisant dans lequel la personne
peut, à la fois, expérimenter ce sentiment d’une unité dans le temps
(donc d’une continuité):
- un
début, un écoulement, une fin, marqué par un rythme ou une pulsation;
celui d’une unité dans l’espace au moment présent (salle, setting,
mouvement, production sonore);
- et
à la fois expérimenter ce sentiment d’une causalité (rapport,
relation de la cause à l’effet que la personne produit au niveau
sonore et/ou corporel).
La
musicothérapie permet à la personne aidée de reconstruire son
sentiment d’unité et de cohésion sur les plans psychique et corporel
et ainsi d’avoir accès à ses émotions les plus profondes, d’oser les
rencontrer et de les accepter comme faisant partie intégrante d’elle.
Ce processus thérapeutique (cadré une fois de plus par un début, un
pendant et une fin) favorise, la réintégration psycho-corporelle de
l’individu.
3) L’affect
La
musique est un langage affectif qui s’adresse au cœur et non à la
raison, plus prosaïquement à ce que les mots ne parviennent pas à
expliquer.
En
d’autres termes, nous pouvons dire que la musique à la capacité de
dévoiler le mystère– le mystère n’étant pas une donnée ésotérique,
mais ce qui échappe à la conscience humaine. La musique n’est pas le
réceptacle d’un savoir caché, mais un outil permettant de «signifier
ce qui nous est voilé»(5).
Chez
un sujet particulièrement réceptif, on peut observer des réactions
émotionnelles très grandes. A l’inverse, si la musique est reçue sur
un mode défensif, elle ne provoquera que peu d’effet sur le plan
affectif. Une production ou une audition musicale peut déterminer un
changement de l’état affectif existant ou renforcer cet état affectif.
La
musique peut faire surgir des souvenirs refoulés très profondément ou
des émotions intenses que nous n’aurions pas pu ou voulu exprimer
verbalement. Le musicothérapeute comme professionnel et la
musicothérapie, comme lieu, offrent un cadre et un contenant dans
lequel la personne peut aller à la découverte de soi, de ses émotions
et de ses contenus refoulés sans sentiment de danger.(6)
4) La communication digitale et analogique
La
musique est un mode de communication non verbale qui permet de
transmettre, de recevoir ou de comprendre un sentiment plus
subtilement que le langage.
Cette communication est aujourd’hui définie dans deux dimensions principales :
- La
communication digitale englobe toute la partie de l’échange codifié
du langage entre les acteurs –émetteurs et récepteurs du message. Sa
logique est cartésienne et son niveau de communication est de type
intellectuel.
- La
communication analogique se rattache à tous ce qui entoure le
langage–les paralangages comme la gestuelle, l’intonation, le regard.
Elle a pour but de créer le contact entre les acteurs de la
communication. Elle se déroule hors du domaine de la conscience et de
l’intellectuel et s’adresse au niveau émotionnel ou au niveau du vécu
relationnel.
Le langage doit être considéré dans sa globalité, à la fois dans son contenu cognitif et dans son contenu relationnel.(7)
Gérard
Ducourneau montre qu’en musicothérapie nous partons du registre
analogique par sa mise en acte en vue d’une digitalisation du message.(8)
Pour permettre à l’individu cette articulation entre la communication
analogique et la communication digitale, nous travaillons tout
d’abord sur le plan relationnel, qui consiste à offrir à l’individu un
espace d’écoute et de confiance dans lequel il peut s’ouvrir et
participer pleinement et activement à son processus de guérison.(9)
5) Le champ du jeu ou l’espace potentiel selon Winnicott(10)
L’espace
potentiel est une aire intermédiaire d’expérience à laquelle
contribuent simultanément la réalité intérieure et la vie extérieure.
L’implication sonore du client et du thérapeute constitue ce champ du
jeu.
En
musicothérapie active, ce qui vient de l’intérieur de la personne (le
ressenti, les tensions physiques ou psychiques…) prend appui sur ce
qui est disponible à l’extérieur (les instruments de musique, les sons
produits) pour s’exprimer.
Tout
ce qui est exprimé dans ce champ du jeu que ce soit par le client
lui-même ou par le thérapeute, devient perceptible, donc objet du
champ, correspondant par là à l’objet transitionnel chez Winnicott.
La
dynamique du champ consiste en un aller-retour incessant entre
l’extérieur de soi-le son entendu- et l’intérieur de soi -le ressenti-
dans une quête de correspondance, de congruence toujours plus grande
entre ces deux dimensions.
On
découvre le chemin à prendre à mesure qu’on avance, qu’on entend sa
propre musique et celle des autres et qu’on s’ajuste les uns aux
autres dans ce mouvement.
Improviser
implique d’affronter l’inconnu et demande d’entrer dans une relation
qui se vit au présent et dont on ne connaît pas d’avance le
dénouement. Un sentiment de vulnérabilité accompagne l’avancée dans
l’inconnu: celui-ci doit être accepté comme partie intégrale de
l’expérience.
Dans
le champ du jeu, le thérapeute adopte une attitude d’écoute profonde
et englobante à l’égard de son client et une disposition d’ouverture à
ce qui émerge en lui-même à la perception et au contact de son
client; il transmet musicalement ce qu’il perçoit.
La
présence combinée de la spontanéité, de la créativité et de
l’intuition constitue un autre aspect de l’expérience de
l’improvisation.
Le
jeu musical permet de s’adonner à une activité où tout n’est pas
prévu d’avance, d’accepter de prendre des risques, d’innover avec les
sons pour le simple plaisir que cela procure.
Chaque
personne dans l’espace potentiel musicothérapeutique apporte avec
elle tout ce qui la constitue (valeurs, attitudes, expérience de vie,
environnement…).(11)
La thérapie
La
musicothérapie est une relation d’aide où se rencontre au moins deux
individus: la personne, en situation qu’elle perçoit comme pénible et
difficile et le thérapeute qui favorise chez celle-ci une appréciation
plus grande de ses ressources latentes internes, ainsi qu’une plus
grande possibilité d’expression et un meilleur usage fonctionnel de ses
ressources.
La musicothérapie est un processus par lequel l’homme retrouve son unité psychique, physique, affective et relationnelle.
Ce
processus thérapeutique implique un changement dans la manière de
s’éprouver. Partant d’une expérience construite de manière rigide,
selon des schèmes perçus comme des faits extérieurs, la personne tend à
développer des schèmes mouvants, plus lâches, modifiables avec chaque
événement.(12)
L’attitude
du thérapeute est celle de l’accueil, de la disponibilité, de
l’intérêt et de l’écoute. Attitude qui considère l’autre comme son
égal, digne d’amour, de respect et de dignité. Cette considération
d’égal à égal, d’humain à humain permet d’accueillir la personne telle
qu’elle est, dans un climat d’amour et de confiance(13).
Cette attitude bienveillante reçoit sans jugement ni préjugés; elle
rejoint la personne là où elle en est, dans ses véritables besoins et
ses possibilités. Ainsi peut s’établir une relation de confiance, sous
l’égide de l’écoute et de l’empathie. Le thérapeute est là pour
renvoyer la personne à elle-même, comme un miroir et l’aider à se
découvrir et à s’accepter dans ses richesses et ses coins d’ombre.
La
responsabilité du thérapeute est de témoigner par sa propre vie ce
Dieu d’amour qui accueille, écoute et aime de manière
inconditionnelle. Annoncer cet amour demande d’expérimenter soi-même
et au quotidien l’accueil et l’amour du divin pour soi.
«Aime
ton prochain comme toi-même» exige comme point de départ, de s’aimer
soi-même, de s’accepter, de s’accueillir pour pouvoir à son tour
aimer, accepter l’autre dans son parcours de vie et l’accueillir le
plus librement possible.
Cette
idée de retour à soi avant d’être orienté vers son prochain reste mal
perçue dans les milieux chrétiens. L’endoctrinement et la mauvaise
compréhension des textes bibliques ont marqué profondément notre
pensée et notre comportement: altruisme sans limite et abnégation de
soi, de son ressenti et de son corps. Le Souffle nous invite à nous
rencontrer et à nous aimer au plus profond de notre être afin de
devenir lieu d’accueil et d’amour authentique pour notre prochain.
Aucun aspect n’est négligé mais accomplit.
Le
danger serait de rester fixé sur nous-même et d’oublier notre
nécessité de la relation à l’autre pour «nous» partager et nous faire
mutuellement grandir. L’objectif de la musicothérapie est
d’accompagner la personne en souffrance sur un chemin de vie le plus
harmonieux possible avec soi et avec les autres."
(1)
L’impression auditive dans l’oreille moyenne dépend d’une part des
caractéristiques de l’onde, d’autre part des caractéristiques de
l’oreille.
(2) Ernest Ansermet, Les fondements de la musique dans la conscience humaine, éditions Langages, Neuchâtel, 1987, 820p.
(3) Rolando Benenzon, Théorie de la musicothérapie à partir du concept de l’Iso, éditions du Non-Verbal/AMBx, 1992, 178p.
(4) Gérard Ducourneau, Eléments de musicothérapie, éditions Dunod, Paris, 2ème éd., 2002, p. 40-41, 169p.
(5) J. Porte (ed.), Encyclopédie des musiques sacrées, vol. I, Paris: Éditions Labergerie, 1968, p.12.
(6)
Je remercie Monsieur Philippe Inversin qui m’a fait bénéficier de son
mémoire de licence, en Théologie pratique, sur le thème «Le chant
dans le culte: Issues pour un renouvellement de la tradition réformée»
et qui m’a de plus permis de mieux cerner la pensée d’Ernest
Ansermet.
(7) Théo Pfimmer, Communiquer, in: B. Keampf (ed.), Introduction à la théologie pratique, Sous la direction de Bernard Keampf, Presses Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 1997, pp.83-108, 401p
(8) Gérard Ducourneau, Éléments de musicothérapie, éditions Dunod, Paris, 2ème édition 2002, p. 17, 169p.
(9)
Ouvrir des canaux de communication c’est permettre à l’individu de
rendre compréhensible à son entourage le contenu de sa communication.
(10) Winnicott, D.W., Jeu et réalité. L’espace potentiel, éditions Gallimard, Paris, 1975
(11) Patricia L. Sabbatella, Étude bibliographique sur la méthodologie de travail et l’évaluation en musicothérapie, revue de musicothérapie: musique-thérapie-communication n°30, pp. 15-58, 59p.
(12) Carl R. Rogers, Le développement de la Personne, éditions DUNOD, Paris, 1998, pp.107-108, 274p.
(13) Dans «Le chemin vers l’autre», Camille Stemper relève l’importance de l’égalité comme condition sine qua non
de toute rencontre et comme fondement moral de l’aide et de
l’accompagnement. L’inégalité induit une relation unidirectionnelle
qui ne permet pas l’échange et le respect mutuel. Camille Stemper, Le chemin vers l’autre, éditions Salvator, 1994, pp.12-13, 157p.