Les résultats de l’étude menée par une équipe
des chercheurs italiens apportent pour la première fois des preuves
tangibles que la dyslexie chez les enfants peut être traitée par la
musique. Daniele Schön*, violoncelliste et neuropsychologue, s’intéresse
tout particulièrement aux liens entre la musique, le langage et le
cerveau, et notamment dans le domaine des pathologies du langage. Il a
piloté ce projet entre Rome et Trieste. Interview.
►D'où vient l’hypothèse que les cours de musique pouvaient traiter la dyslexie ?
Notre connaissance du cerveau a énormément évolué depuis une
vingtaine d’années. Avant, on pensait que la musique et le langage
étaient traités dans les zones complètement distinctes : le langage à gauche, la musique à droite dans notre cerveau.
Grâce à la neuro imagerie qui s'est énormément développée et sur
laquelle nous appuyons nos recherches depuis, notre vision a
radicalement changé : nous savons maintenant que cette
dichotomie n’est pas aussi nette, et que pour la parole, comme pour la
musique, certains réseaux se chevauchent et certains sont similaires.
Nous nous sommes donc d’abord demandé si l’entrainement musical quotidien, pendant plusieurs heures, pouvait améliorer les facultés du langage et nous avons testé les musiciens, enfants et adultes. Et les résultats ont montré que les musiciens ont en effet les facultés du langage plus performantes que les non-musiciens :
ils ont une meilleure discrimination sonore, une meilleure prosodie et
structure grammaticale et apprennent les langues étrangères avec
beaucoup plus de facilité.
►Et cela ne serait pas dû au fait que les musiciens ont une meilleure oreille…
Non, il ne s’agit pas là d’une prédisposition génétique,
nous avons pu observer que l’activité musicale provoque de véritables
modifications au niveau cérébral. La pratique de la musique est une
activité cérébrale très complexe. La musique est plus structurée que le
langage et elle demande une grande précision temporelle, à la fois dans la perception et dans le geste.
Je suis violoncelliste dans un quatuor, par exemple : j’écoute mon jeu,
donc il y a déjà ce lien entre la perception et le geste. Ensuite,
j'écoute le jeu des autres instrumentistes auquel je dois sans cesse
m’adapter. Les systèmes auditif et motrice doivent être très bien
connectés, différentes zones du cerveau se mettent en résonance pour
arriver à un résultat ultra-précis et ultra- efficace. Les processus
prédictifs dans la pratique musicale sont très subtils, et notre cerveau
aime anticiper. Le cerveau est comme un orchestre : plus la
communication entre les aires est importante, plus la connexion est
performante et plus il y a de synchronie entre différents aires. Et
comme on a dit que les zones du langage et de la musique communiquent,
les deux en bénéficient.
► Et donc, par rapport à la dyslexie, quel serait l’effet de l’entrainement musical ?
La dyslexie, en tous cas, celle d’origine phonologique - parce que c’est un syndrome neurologique assez complexe - est un trouble perceptif.
Un dyslexique a du mal à différencier par exemple un PA d’un BA, les
sons qui se prononcent de façon similaire, et par conséquent de les
restituer à la lecture, ce qui fait penser à une incapacité de
différencier les lettres, alors que cela coince au niveau de la
perception et la représentation des sons. De plus, les enfants
dyslexiques ont très souvent des difficultés de coordination sur le
rythme, en tapant des mains, par exemple. Le fait de les exposer
à l’entrainement musical, de préférence à une musique rythmée,
permettrait de réguler l’activité oscillatoire cérébrale qui est
nécessaire à la reconnaissance des sons.
►Comment avez-vous mené cette étude ?
Nous avons travaillé à Rome et à Trieste, avec le concours de la Fondation Mariani,
qui soutient les projets dans les domaines de la santé infantile, et en
collaboration avec les services neuropédiatriques
et neuropsychologiques locaux. Nous avons opté pour une "étude
randomisée contrôlée", c’est-à-dire que les sujets sont choisis par les
chercheurs et au hasard. Notre cible étaient les enfants dyslexiques de 8
à 11 ans qui sont suivis en ortophonie. Pendant six mois à raison de
deux fois par semaine, un groupe d'enfants a suivi les cours collectifs
de musique, et l'autre les cours d’arts plastiques. A l’issu des six
mois, on leur a donné à déchiffrer un texte et le résultat était
frappant : 60% d'enfants du groupe « musique » se sont amélioré
en lecture, au point de sortir des critères du diagnostic de dyslexie,
contre 28% dans le groupe « art plastique ». Il y a un
transfert de compétences dans le cerveau suite aux cours de musique : du
travail sur le rythme vers une meilleure discrimination sonore, qui a
amélioré les résultats dans le domaine de la lecture.
►Y a-t-il une méthode miracle pour arriver à ce résultat ?
Nous avons travaillé avec les méthodes Kodaly et Dalcroze, et notamment Kodaly,
qui est basée sur l’apprentissage de la musique par le rythme et par le
mouvement. Mais ce type de séances ne demandent pas forcement une
formation particulière. La musique est d’ailleurs déjà très largement
utilisée dans le traitement des pathologies du langage et par les
musicothérapeutes, mais maintenant nous avons pu prouver par la science
que ces pratiques sont à prendre en considération de manière sérieuse,
en parallèle avec l'orthophonie qui reste la base de la prise en charge
de la dyslexie.
* Institut de neurosciences des systèmes, Inserm/Université Aix-Marseille